Enregistrement n°54 [SCIENCE-FICTION]

Publié le par Nicoco

       Mes pas lourds de fatigue martelaient le sol, le poids de mon armure énergétique sapant peu à peu mes réserves, mon corps musclé par l’entraînement rechignant à chaque mouvement. Mes ennemis n’étaient pas loin, une armée de démons prête à tout pour me rattraper. J’aurais pu les battre, si seulement cette maudite lame n’était pas encore enfoncée de dix centimètres dans ma poitrine. Je continuai donc à courir, esquivant les fissures du sol aussi stérile qu’une nonne en fin de vie, sautant par-dessus les rochers d’un geste souple et puissant. Mais soudain, la terre explosa, me projetant à plusieurs dizaines de mè…

            Bon ok, j’arrête. J’avoue que je ne vous ai pas exactement raconté toute la vérité. Il n’y avait pas d’armure, plutôt de minces vêtements en cuir, en plus pas en super état. Et non, je ne suis pas si musclé que ça. D’ailleurs, la lame ressemblait plutôt à une aiguille de verre dans mon pouce, mais ça fait un mal de chien ! Foutu portable inutile en morceaux. Mais la terre était vraiment aride, sans vie, et avec un air irrespirable depuis les bombardements atomiques. De plus, elle était vraiment entrain de s’ouvrir sous mes pieds, manque de bol. Certes, je vous l’accorde, c’était en réalité l’unique danger, aucune armée ne me poursuivait, tout le monde est mort de toute façon. A part nous trois, je veux dire. Pas de démons, pas de zombies, pas d’aliens. L’apocalypse, ça craint.

            Encore un petit détail à clarifier, je vous le dois bien. Il n’y avait pas vraiment de danger pour moi. Je n’étais pas réellement là. Tout n’était pas un mensonge, loin de là, rassurez-vous ! Simplement, c’était un hologramme de moi, mon vrai corps était actuellement branché sur une machine, dans un bunker, sous dix mètres de roches. Mes deux compagnons, une jolie brune du nom d’Elektra et un semi-débile qu’on surnommait Pat, me supervisaient. Quand ils parlaient à mon corps, je l’entendai comme si j’avais en permanence une oreillette. Mon objectif était de trouver un autre bunker, ou n’importe quoi d’autre contenant de la nourriture. Ensuite, plus qu’à envoyer quelqu’un la récupérer dans une combinaison hermétique. C’est bien équipé, les abris antiatomiques, souvenez-vous en si ça vous arrive un jour d’assister à l’extinction de la race humaine…

            Mais pas assez bien équipé. On était sur la fin des provisions. Trois ans, trois longues années sans contact avec d’autres êtres humains que nous. Les premières années, on a rencontré pas mal de gens qui allaient et venaient dans leurs combinaisons d’astronautes. Ils étaient sûrement tous morts maintenant, ces incapables. Evidemment, quand on passe autant de temps en petit comité, on finit par développer des liens. Surtout avec Elektra, entre nous. Oui, des arrière-pensées me traversent l’esprit.

            Enfin bref, revenons à nos moutons. J’étais entrain de m’envoler gracieusement, avant de retomber vers le sol. Un peu absurde, si j’avais réfléchi deux secondes, je me serais concentré et je n’aurais pas bougé d’un poil. C’est ça, d’être un hologramme. Soit on réussit à contrôler notre projection, soit notre cerveau se laisse influencer et pense capter une réalité, donc réagit en conséquence. Là, j’ai réussi à m’auto-projeter dans les airs. Non, ne riez pas. J’aimerais bien vous y voir, tiens. J’ai été surpris, c’est tout.

            Je digresse encore, excusez-moi, il faut que je me reconcentre sinon cet enregistrement va finir par durer trois plombes.

Je me retrouvai donc en pleine chute. La faille s’élargit sous moi, et quand j’arrivai à son niveau, elle me happa tout entier. Il me fallut encore bien une dizaine de mètres avant de  réussir à m’arrêter, flottant dans les airs comme un fantôme. J’entendis Elektra soupirer, alors qu’elle m’observait depuis son écran. Elle me conseilla de rentrer jusqu’au bunker, afin que je puisse me réveiller. En effet, je vous ai parlé un peu plus tôt du cerveau influençable. A cause de ça, pour sortir de son hologramme et « rentrer » dans son vrai corps, il faut mettre les deux en contacts afin d’embrouiller le cerveau et pouvoir se transférer dans la réalité. Ne vous inquiétez pas, je n’y comprends pas grand-chose non plus.

M’orientant grâce aux indications d’Elektra, je traversai en ligne droite la roche jusqu’à notre abri. Là, je glissai le long des grandes salles vides, traversant des couloirs déserts, pour arriver enfin dans la salle principale, celle où nous avions élu domicile. Je m’approchai de la table sur laquelle j’étais allongé, traversant Elektra assise devant les écrans de contrôle. Je me penchai au-dessus de mon propre visage. Quelle impression étrange, je ne me lassai pas de m’observer, comme un étranger.

Soudain, un bruit de gorge me fit relever la tête. M’attendant à tomber sur le visage lunaire de Pat, quelle ne fut ma surprise quand je découvris un visage inconnu. Un jeune homme, à peine plus vieux que moi, me fixait d’un air abasourdi. Ma première réaction fut de rire intérieurement : un roux ! La première nouvelle personne que je croise est un roux ! Puis je me réprimandai. Le roussisme, c’était so 2096. Depuis le début des bombardements, il y a un peu plus de sept ans maintenant, on était tous égaux : riches, pauvres, asiatiques ou de tout autre continent, petits et grands, jeunes et vieux, femmes et hommes, blonds, bruns et même roux. La fin du monde a vachement fait progresser les mentalités. Même la mienne, encore que de vieux réflexes étaient restés ancrés. Le seul problème, c’est qu’on n’est plus beaucoup à pouvoir se targuer d’avoir évolué. D’ailleurs, j’avais eu encore plus honte de m’être moqué mentalement car je m’étais souvenu que cette homme nous apportait sûrement notre salut, tel le messie, et que sans lui nous allions certainement mourir de faim dans les jours qui suivent.

A ce moment précis de ma réflexion, ce dernier l’interrompit en me jetant joyeusement : « Nous ne sommes donc pas seuls ! Quel bonheur ! Vous ne pouvez pas savoir comme je suis heureux, d’autant plus que nous crevons de faim ! Oh, je ne me suis même pas présenté, moi c’est Elia, et toi ? »

Je l’observai sans parler pendant une seconde. Puis je soupirai longuement.

Ma vie est cynique. Tellement.

  

            

Publié dans SCIENCE-FICTION

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